Au Comptoir des Contes
Une sélection de contes de mon répertoire et bien d'autres choses
Donner et recevoir
Traditionnel
Hakuko avait livré plus de cent combats sans une égratignure. Son agilité, sa vitesse et son art de l‘esquive lui avait fait abandonner le casque, le plastron de cuir bouilli et les autres éléments de l’équipement usuel des samouraïs. Il combattait vêtu seulement d’une tunique et de pantalons souples blancs. Bien que de petite taille, sur le champ de bataille, il paraissait bondissant au-dessus des rangs de ses adversaires. Si ce n’était ses yeux vifs gris aciers rien dans son allure ne le distinguait d’un homme ordinaire.
Jusque bien au-delà des monts, grande était sa réputation de maître du sabre.
Au sommet de sa gloire il s’interrogeait sur le sens de sa vie toute remplie de fureur et de sang. Il décida de faire une retraite dans une modeste demeure sur les rives de la baie d’Osaka.
Au-dessus de la porte basse il accrocha son katana. Tous les matins il s’installait sur un rocher plat et, face à la mer, il restait immobile à méditer. Il pensait rester trois semaines avant qu'on ne le rappelle pour la guerre prochaine qui s’annonçait. Lorsque l’émissaire du Shogun vint le quérir, il refusa de le suivre et annonça que Hakuko, le maître du sabre, n’était plus de ce monde. Ce qui était vrai car il n’était plus le même homme.
Quelques disciples virent le rejoindre à qui il enseignait par son seul exemple la patience et l’humilité. Plusieurs années s’écoulèrent ainsi mais, dans tout l’archipel, nul n’avait oublié les exploits de Hakuko.
Or un jour, un de ses jeunes disciples découragé par la lenteur de son apprentissage abandonna le groupe. Déçu, dépité par sa propre inconduite il trainait sa carcasse de bouge en bouge dans les bas-fonds d’Osaka. Un soir, ayant ingurgité quantité de saké, il révéla à ses compagnons de beuverie la véritable identité de son ancien maître.
La nouvelle fit rapidement le tour de la province et parvint aux oreilles d’un jeune et ambitieux guerrier nommé Imagawa dont la réputation montante commençait à être connue à la cour. Il n'avait encore jamais perdu un combat. Il avait une technique bien particulière de se battre. Il attendait que son adversaire ait sorti son sabre à moitié pour, dans une attaque fulgurante de flanc, lui percer le foie.
- Ha ce vieux Hakuko est toujours vivant !
- Pourquoi ne le voit-on plus dans la garde du Shogun !
- Sans doute a-t-il entendu parler de moi et préféré se retirer plutôt que de m’affronter !
Comme il connaissait la réputation du samouraï, il était résolu à le vaincre pour accroître sa gloire.
Imagawa décapita une colombe blanche et la fit porter à Hakuko pour lui signifier qu’il le défiait en combat singulier dont l’issue ne pouvait être que la mort.
Les disciples étaient opposés à cette confrontation :
- Maître vous n’allez pas vous abaisser à affronter ce fanfaron !
- Vous n’avez rien à prouver tout le monde se souvient de votre valeur !
- Ce n’est qu’une baudruche qui se dégonflera en votre présence !
- Laissez-moi seul répondit Hakuko et il alla se coucher comme d’habitude.
Au petit matin il annonça à ses disciples effarés :
- Je l’affronterai, j’ai des choses à vous apprendre.
Le rendez-vous fut pris pour la prochaine lune. Sur la place du village auprès de la porte du palais une estrade est dressée pour le Shogun, sa cour et ses concubines. Devant l’estrade, la garde chamarrée du Shogun. Sur le côté droit, de l’espace aménagé sur lequel on a répandu du sable blanc, un rang de samouraïs placés devant le reste de l’armée. Sur le côté gauche se pressent les hommes, les femmes et les enfants du village et des villages alentours.
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se régaler d’un tel spectacle !
Au matin Hakuko se purifie dans l’eau glacée de la cascade proche. Il enfile ses vêtements de soie blanche, noue ses cheveux derrière la tête et ceint son front d’un ruban également blanc. Puis il prend son katana, et le passe dans sa ceinture.
Hakuko, suivi de ses disciples se rend sur le lieu convenu, salut le Shogun et se campe au milieu du cercle de vérité.
Sur le chemin qui mène au village s’avance à grandes enjambées Imagawa, suant soufflant sous son harnachement de samouraï qui le fait ressembler de loin à un gros scarabée. Il est suivi de la troupe de ses admirateurs braillards.
- Le voilà, c’est lui ! N’est-il pas formidable avec son casque et son armure !
Les spectateurs s’écartent sans un mot pour laisser entrer l’impétueux guerrier.
Les deux hommes se font face. Le silence est total.
Un coup de gong retentit annonçant le début du combat :
- Alors il parait que tu as vaincu cent adversaires ! Je n’en crois rien, tu n’es qu’un vantard !
Les yeux mis clos, fixant l’horizon , semblant ignorer son adversaire, Hakuko écarte légèrement les bras, les mains entrouvertes au niveau de la ceinture.
- Ce ne devait être que des minables ! Il n’y a pas de gloire à vaincre de pareils ennemis !
Hakuko ne répond pas.
- Viens, viens tu as enfin en ma personne un vrai Samuraï !
Hakuko reste immobile.
- Alors qu’attends tu, tu as peur ! C’est ça tu as peur !
Hakuko reste immobile.
- Qu’est-ce que tu as ? C’est ça, j’ai compris, Tu es paralysé par la peur !
- Tiens, prends ça ! et il lui jette une poignée de sable au visage.
Il crache sur le sol dans sa direction. Hakuko reste immobile.
- Ton père devait être un poulet pour engendrer un tel peureux !
- Et ta mère une dinde !
Imagawa tourne autour de Hakuko en continuant à l’abreuver d’injures de plus en plus violentes et infamantes en gesticulant avec son sabre.
Hakuko reste immobile.
Le rouge au front, la sueur coule son visage, les veines du cou gonflées, Imagawa ne sait plus comment faire pour que Hakuko se découvre et qu’il puisse enfin porter son attaque secrète.
Au bout d’une demi-heure de ce manège, le Shogun lassé se retire. Suivi par sa garde, les samouraïs et les soldats. Bientôt les villageois, à leur tour retournent à leurs travaux.
Dépité, trempé, tremblant de rage mal contenue Imagawa doit admettre son impuissance et se retirer sous les quolibets des enfants.
On ne l'a plus jamais revu accoutré en samouraï. A-t-il obeït au bushido le code de l’honneur en se suicidant selon le rite du seppuku ?
- Maître comment avez-vous pu recevoir toutes ces injures sans réagir !
- Vos ancêtres, il a même insulté vos ancêtres !
- Pourquoi ne vous êtes vous pas servi de votre sabre au risque de perdre le combat plutôt que d'apparaitre lâche ?
Vous vous êtes déshonorés et nous aussi par la même occasion !
Hakuko répondit :
Quand quelqu’un vous tend un cadeau et que vous ne l’acceptez pas, à qui appartient le cadeau ?
- A celui qui a essayé de le donner, répondit un des disciples.
- Il en est de même pour l'envie, la rage et les insultes, dit le Maître. Lorsqu'elles ne sont pas acceptées, elles appartiennent toujours à celui qui les porte dans son cœur.