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Conte à la une

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Riquet à la Houppe

Auteur :

Rubis M.

Temps de lecture estimé :
10 min

Proposé par :

Myriam Rubis

5 mai 2021
Le :

RIQUET À LA HOUPPE

Sur le berceau de ce prince-là, une bonne fée s’était penchée.

Bonne, mais… plus toute jeune. Sa mémoire était trouée de partout. Dès la première formule, les mots se sont entortillés dans sa bouche, et paf : une bosse sur le dos princier. Très ennuyée, elle a tenté de se rattraper en secouant frénétiquement sa baguette au risque de l’éborgner, mais c’était de pire en pire, et à la bosse se sont ajoutés un pied-bot, un nez tordu, une bouche de travers, une paupière tombante ! Dernière tentative désespérée, et bim ! Un épi dans les cheveux. Alors ça c’était le pire, ça c’était la catastrophe ! Parce qu’à la cour où tout le monde était né coiffé, un prince mal peigné, ça ne pouvait que défriser les gens. Elle a fait « Oups » et elle s’est envolée sous forme de papillon mité vers le château de la princesse du coin.

Heureusement, la fée subtile est passée juste derrière, et pour donner au Prince une chance de survie, elle lui a inoculé ce qu’à l’époque on appelait l’esprit, c’est-à-dire la partie la plus effervescente, la plus piquante de l’intelligence. Elle a susurré : « L’amour te rendra contagieux… » et après un instant de réflexion : « ...de l’intérieur ! » Puis elle s’est envolée sous forme de libellule vers le château de la princesse du coin.

Riquet à la Houppe – c’est lui – a très vite appris à se faufiler entre les sottises du monde et à ne jamais sortir sans son esprit, dans l’espoir qu’on le regarde avec les oreilles plutôt qu’avec les yeux. Et ça marchait : on le respectait, on l’admirait, mais on ne l’aimait pas, car de son cœur bien protégé, personne ne savait rien.

Personne sauf les oiseaux qui venaient se poser sur sa bosse. Sauf le soleil qui caressait sans dégoût son visage. Car si à la cour, il apprenait la survie, c’est dans le bois entourant le château qu’il fréquentait la vie. Là, il se reposait dans le silence des arbres et des cailloux, et parfois, il percevait, comme un froissement de soie derrière une porte, l’amour qu’il ne connaîtrait pas. De cette musique infime, il aurait pu se contenter. Mais il n’était pas seul à venir se fondre dans les ombres et les lumières du bois.

Car de l’autre côté des arbres, il y avait un château voisin, et dans ce château, la princesse du coin. Elle s’appelait Rose et elle était belle, belle… à ne pas trouver les mots pour dire son velouté, son voluté et cette petite boucle dans son cou moelleux. Hélas, on la trouvait bête. Bête comme… une renoncule, une primevère, un bulbe, enfin bref, végétative. Et elle, à force d’être comparée à une belle plante, elle avait fini par s’identifier. Par penser plante. Parler plante. Alors elle s’était fait un jardin à l’arrière du château où elle laissait pousser tout ce qui voulait vivre, beau ou laid, utile et inutile.

Parfois, elle allait dans le bois pour ramasser des plants.
C’est comme ça qu’ils se sont croisés.
Bien sûr, ils se sont tout de suite reconnus au portrait officiel (aussi subtil que laid, aussi belle que bête), et ça ne leur a pas fait plaisir, non, pas du tout. Parce qu’elle, elle était un affront à la laideur et lui, à la simplicité.

Mais ils étaient bien élevés, prince, princesse, alors ils se sont inclinés l’un devant l’autre, et quand Rose a relevé le front, ce que Riquet a vu dans ses yeux, ce n’était ni hébétude ni béance, mais un ébahissement, mais un éblouissement.

Elle tout de suite, pour que ce soit bien clair, elle a dit : « Je suis sotte. » Il a répondu :

« Je suis laid.
- Quand on a votre esprit, nul besoin de beauté. Être laid, la belle affaire.
- Que savez-vous des laids ? De leur solitude, leur honte ? Leur obligation chaque jour, chaque instant, de se faire pardonner cette faute de goût commise par la nature ? Vous ne savez rien des laids.
- Pardonnez-moi. Vous voyez, je suis sotte.
- Non, vous êtes simple. Si vous étiez sotte, je ne vous aimerais pas.
- Déjà ?
- Oui. Voulez-vous m’épouser ?
- Moi ? Vous ? Impossible !
- Je vous le disais : être laid est pire qu’être sot. Mais l’amour parfois prend son temps. Si vous acceptez de m’épouser dans un an, je pourrai vous donner de mon fameux esprit.
- C’est vrai ? Vous pourriez ? Oh oui, vous avez raison, l’amour prend son temps, il viendra, c’est sûr, quand j’aurai de l’esprit !
- Il s’éveille déjà. L’esprit…
- C’est qu’il est vif car il me vient de vous ! »

C’était parti pour le grand jeu des mots qui se caressent, se chatouillent, se découvrent ; et les traits, les finesses de l’un attirant ceux de l’autre, Rose émerveillée a découvert ce pays où un mot juste, une idée nouvelle, suffisent à repousser l’horizon. Riquet l’a écoutée comme on regarde une fleur s’ouvrir, heureux et pourtant triste. Car désormais, contrairement à lui, elle avait tout pour plaire. Et puis il l’a regardée s’éloigner, bondissante, vers sa nouvelle vie.

À la cour, elle a fait un tabac. Ses journées n’ont plus été qu’assauts d’esprit, bons mots à gorge déployée et bouts rimés accompagnés d’œillades. Elle en a joué, elle en a joui du grand bal de l’esprit sous les lustres à facettes, et complètement oublié d’où lui venait ce don.

Un marquis – manières et surtout moustache fines – lui a demandé sa main. Tout était bon chez lui, mais sans savoir pourquoi, elle a hésité. Alors pour réfléchir, elle est allée se promener dans le bois. Soudain, sous ses pieds, un bruit de cymbales. La terre s’entrouvre devant elle et par la faille, elle voit des marmitons fébriles, des rôtisseurs en sueur qui courent partout dans un tintamarre de cuisine. Elle se penche et demande : « Que faites-vous ? » On lui répond : « Nous préparons le repas de mariage de Riquet à la Houppe, c’est demain ! »

La mémoire lui revient comme une claque. Derrière elle, une voix : « Bonjour Madame ma fiancée. » Elle se retourne, c’est Riquet qui est toujours aussi laid. Elle balbutie : « Vous ne pouvez pas, vous qui avez de l’esprit, vous ne pouvez pas me forcer !
- Me croyez-vous assez sot pour vouloir que l’on m’aime comme on rembourse une dette ? Mon amour est gratuit, Rose. Adieu. »

Elle le regarde s’éloigner, plus tordu, plus bossu que jamais, la tête penchée sur l’épaule comme si elle pesait trop lourd. Et il semble à Rose que quelque chose lui échappe. Alors elle lui court après : « Attendez ! » Il se retourne, elle lui prend les mains et le regarde… un peu plus loin. Dans ses yeux elle voit des soleils, des oiseaux et de l’amour à ne savoir qu’en faire, de l’amour comme s’il en pleuvait sur la sécheresse du monde.

Alors sur le visage du malheur, elle pose le baiser du bonheur. Et dans un lumineux sourire, les traits de Riquet retrouvent leur vraie place.

Sur une branche, au-dessus de leur tête, une libellule dit à un papillon mité : « Avouez que j’ai bien rattrapé votre maladresse ! » Le papillon répond : « Sans moi, ils eussent été banals. »

Chance ou malchance, vérité, illusion, qui peut savoir ? Mais à la Cour où chacun se doit d’avoir une opinion, on a glosé longtemps :
Certains ont dit que par la grâce d’une fée Riquet était devenu miraculeusement beau et Rose plus vive, plus fine encore.
D’autres que c’est surtout aux yeux l’un de l’autre qu’ils étaient devenus le prince et la princesse parfaits de leur conte de fée.

Qu’importe, ils ont été heureux.

Myriam Rubis
in "Contes amoureux d'hier et de tout-à-l'heure"

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