Au Comptoir des Contes
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Conte à la une
Sermon de Cucugnan
Auteur :
Erard P.
Temps de lecture estimé :
15 minutes
Proposé par :
Patrick Erard
22 novembre 2022
Le :
Le sermon de Cucugnan par Patrick Erard
Lauréat du concours de sermons de Cucugnan 2022
Chers Cucugnanaises, Chers Cucugnanais,
Quel plaisir de vous retrouver enfin après deux années gaspillées à nous éparpiller, nous dégueniller, nous empapaouter, nous sentir dévariés, desgaillés de tous les côtés !
Hélas, ce grand plaisir est gâché par le déplaisir d’avoir à vous sermonner.
Eh oui, car enfin, néanmoins, toutefois, de tot biais, cependant, de tout ce temps, qu’avez-vous fait ? Dites-moi, qu’avez-vous fait pour faire avancer la cause cucugnanesque, à part courir comme une dératée, comme Véro, raconter des histoires mensongères même pas vraies comme Babette, faire un pain plus que délicieux comme Roland, ce qui pour lui, n’est même pas un effort, mais une simple habitude - ou vous enivrer tristement pour oublier l’absence de notre festival, accoudés à un comptoir qui n’est pas celui du conte ?
Mais attention : pendant que vous perdiez votre temps, d’autres communes ne perdaient pas le leur pour assurer la promotion de leur village, contrairement à vous, mes chers Cucugnanais adorés… Eh oui, je vous aime malgré vos petits défauts, votre ivrognerie et votre fainéantise crasse.
Je dois donc vous avertir que dans certains villages des alentours, il se trouve des médisants bêtement jaloux pour prétendre que votre animal emblématique est le serpent, car il se déplace tout en restant couché…
Revenons donc à ces communes préoccupées par le développement du tourisme culturel en milieu rural, qui devraient vous servir d’exemple. A l’étranger, dans les Pyrénées Orientales, une belle initiative, très en avance sur son temps, prenons par exemple Tautavel, qui, bien avant la création de toute structure de promotion, bien avant que ne germe l’idée d’un Office de Tourisme des premiers habitants de l’Europe, a su engager un artiste qui a réalisé de superbes dents plus vraies que nature, dans une grotte qui fait désormais la fierté des petits et des grands Tautavéliens, permet la vente de cartes postales, de pendentifs, de porte-clés, l’organisation de colloques à n’en plus finir, de thèses dans les facs, de passages dans les livres d’histoire, d’ateliers, d’animations (Comme disait le poète, Ô touristes inanimés, avez-vous donc une âme ?). Bien avant la mode récente de la recherche de verroteries cachées par les indigènes, pour créer l’évènement, ils ont eu l’idée, aussi simple que géniale, de cacher une dent pour la faire découvrir - mais attention, une dent de lait, siouplet, qui leur a servi d’appât pour déclencher une véritable chasse aux dents ! Comme quoi, avec un peu d’imagination, on peut tirer parti de tout : une dent… le genre de truc qui te fait mal toute ta vie, et qui parvient à t’emmerder même quand tu n’en as plus ! Désormais, leur village est célèbre, et tout ça pour une dent de lait ! Non, je n’ai pas de dent contre vous, mes chers paroissiens, ne pensez pas cela, voyons !
Deuxième exemple : Elne. Voilà un village qui, à part la présence de Peire, du bon vin, et une superbe culture catalane, avait toutes les peines du monde à se faire remarquer. Mais la créativité prend parfois des chemins détournés pour se manifester : tout dernièrement, au cours d’une soirée arrosée du COVER, le Club organisateur des voyages d’Elne et sa région, ses membres ont joué à l’un de ces jeux-défis, vous savez, avec la formule cabalistique : « Tépacap » L’un des participants, de retour d’Égypte, a alors lancé à un papi, tailleur de pierres en retraite qui, comme tous les retraités, vantait ses capacités et prétendait que les jeunes ne savent plus travailler : « Tépacap de fabriquer un sarcophage ». L’idée a enthousiasmé les autres participants qui, dès le lendemain, se sont retrouvés dans son atelier, et l’ont regardé fabriquer un sarcophage avec des yeux comme des soucoupes… Bon, là, je le reconnais, ça a un peu dégénéré. Ils avaient encore deux cubes, du coup, ils y ont placé une momieavec l’aide du croquemort, et l’ont enterré. Il ne leur restait plus qu’à attendre. Deux jours après, un employé communal qui travaillait l’a trouvé ! des tas de couillons y ont cru, le succès leur est monté à la tête, les jeunes s’en sont mêlés, et de « tépacap » en « tépacap », ils en ont construit et enterré une dizaine, de plus en plus beaux, de plus en plus ornés, de plus en plus sculptés, des animateurs en ont fait un atelier au Centre aéré pour les ados, ils se régalent, on dit que certains en ont posé leur téléphone pendant plusieurs minutes, un prof d’histoire serait complice, l’histoire n’est pas finie…
Les trois-quarts ont été découverts, les télés japonaises sont sur le coup, c’est la folie… On dit que les habitants des villages les plus reculés de la haute vallée du Nil n’en peuvent plus d’entendre les touristes leur dire « On est venus pour Elne, mais on savait pas où c’était, on a cru que c’était en Egypte, il paraît qu’on fait c’est en Catalogne ! », on dit qu’ils sont en train de négocier une importante commande…
Mais revenons-en à notre pauvre Cucugnan, où, rappelons-le, nous manquons cruellement d’un fait marquant, d’une découverte, d’une attraction, de quelque chose, le Château, c’est très bien, mais à l’époque des télécommandes, c’est un peu, comment dire ? Figé. Je sais pas, moi, - ou plutôt je ne SAVAIS pas, car en raison de la guerre en Ukraine, les services de renseignement se sont mis à écouter tout le monde, Épicerie et Office de Tourisme de Cucugnan compris, c’est pourquoi je suis en mesure de vous dire, grâce à des Hackers post-soviétiques travaillant en équipe avec des Atlantes, qu’une certaine jeune femme, par ailleurs charmante, designer originaire du village, a eu une idée originale, dans l’espoir de hisser Cucugnan au niveau de ses rivaux Tautavélesque et Elnien : fabriquer, puis enterrer dans le jardin de Guite, un vrai fossile de C15 qui sera un témoignage de l’efficacité de l’industrie française, tout autant qu’un hommage à tous nos Cucugnanais qui, durant des générations, ont utilisé ce véhicule-concept génial pour transporter les objets du quotidien : un fusil chargé, une botte de paille, un chien plein de puces, une bouteille de vin, un programme du Festival du Conte, et surtout, les outils qui leur ont permis de produire ce délicieux vin des Corbières que nous buvons aujourd’hui, sans modération, hélas, mes chers amis…
Alors, je sais : vous allez me dire que ce fossile, en cours de réalisation par les blanches mains de cette jeune femme et ses complices quelque peu abîmées par l’usage du marteau et du burin, n’est pas très authentique. Je vous répondrai que les voies de Dieu sont impénétrables, et que la patine de ce calcaire, pour être due aux efforts de Charlotte, n’est pas moins authentique que celle qu’un fossile aurait reçue par des pluies qui de fait n’existent pratiquement plus. Qu’est- ce que l’authenticité, d’ailleurs ? Un prof de fac dirait, sans rire : « il faudrait définir une épistémologie de l’authenticité. » Pas question pour moi de tomber si bas, mais permettez-moi quelques remarques : « Pouvons- nous, devons-nous nous poser la question de l’authenticité du fossile d’un bijou de technologie, alors que les Chinois nous inondent de copies frelatées de nos produits, que les franchimands osent prétendre que leur langue est plus authentique que la notre, et que nos politiques nous présentent d’authentiques couillons comme des ministres compétents ?
Mes bien chers frères, n’hésitez pas, ôtez le marteau et le burin des mains désormais râpeuses de Charlotte, soutenez-la, aidez-la, relayez-la, sculptez la pierre, que les plus dégourdis d’entre vous reproduisent les bien- aimés guillemets, référence aux conteurs, vous l’aviez compris, sigle du citron, vous devez en venir là pour vous hisser au niveau de la concurrence, faites-le, profitez donc des idées novatrices de la jeunesse, le Bon Dieu est de votre côté, soyez-en sûrs, il aime voir son troupeau se lever l’âme pour l’élever vers lui !!!
Ite sermone est.