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Soudi, le lion amoureux de la biche

Auteur :

Penda T.

Temps de lecture estimé :
10-12 min

Proposé par :

Théodora Penda

24 avril 2021
Le :

Soudi, le lion amoureux de la biche

Le merle et les gangas tenaient une conférence, ce matin, devant les hippopotames ébahis. Tous piaillaient sans s’accorder, dans un mélange de voix suraigües. C’est alors que le calao gris prit la parole et déclara d’un ton sans réplique : les poules de roche avaient vu passer Tik’a Koullè le conteur de brousse, dans la région du Faro. Il se rendait dans la savane arborée, au chevet d’un jeune lion malade d’amour.

Voici l’histoire d’un lion, qui tomba amoureux. Amoureux à en devenir bête. Aimant au point d’oublier qu’un lion, nourrisson de fauve, nait fort et cruel.

Soudi était un jeune lion qui vivait dans la savane du Faro, dans le nord, aux frontières du Nigéria. Il avait choisi de construire sa maison près du ruisseau, là où venaient se désaltérer la plupart des animaux, de sorte qu’il n’avait pas besoin de trop s’éloigner pour attraper ses proies. C’est ainsi qu’il devint la terreur de tout le voisinage.

Parmi les animaux qui fréquentaient le ruisseau, il y avait Rama, une jeune et ravissante biche.

A n’en pas douter, Rama était la plus jolie des biches. D’une allure frêle et gracieuse, elle avait le pas aérien des fées. Ses yeux, qui étaient aussi beaux que les rayons des étoiles, avaient donné à son regard une luminosité qui ne pouvait que subjuguer. Que dire alors de sa voix ! Car Rama aimait chanter. Lorsqu’elle poussait la chansonnette sur le chemin du ruisseau, son soprano léger tintant avec mélodie, tous les oiseaux du ciel s’arrêtaient de gazouiller pour l’écouter. Ses grâces naturelles, mêlées à ses talents de chansonnière, faisaient fondre le cœur brut du jeune et terrible lion et le rendaient chaque jour, un peu plus amoureux.

Cependant, aussi incroyable que cela puisse être pour un impétueux fauve, Soudi était trop timide pour déclarer sa flamme à Rama. Alors faute de hardiesse, il se contentait de l’admirer de loin, caché dans le fouillis des branches.

̶ Tu devrais la croquer au lieu de l’admirer, le pressait un lion de ses amis.

̶  J’avoue qu’elle est belle à croquer, mais je préfère l’admirer. Je l’aime trop pour lui faire le moindre mal, disait Soudi, plongé dans son enchantement.

̶  Elle n’est pas notre genre. Elle est fragile, toi tu es fort. Elle n’a pas de crinière, sa tête est lisse, sans compter qu’elle est une proie tandis que toi, tu es né prédateur. C’est un amour impossible !

Mais Soudi ne l’écoutait pas, car son sentiment amoureux masquait les défauts de naissance de Rama. Un jour cependant, la passion qu’il n’arrivait plus à contenir arma son courage. " Il faut que cela cesse ! Je suis un puissant guerrier, je suis craint et respecté ! Il est inadmissible que je tremble à l’idée de dire je t’aime à une biche ». Et Soudi alla se poster sur le chemin qu’empruntait très souvent Rama.

Rama avait entendu parler du lion qui terrorisait tous ceux qui venaient s’abreuver dans le limpide ruisseau. Si bien que ce jour-là, ayant à peine aperçu Soudi qui semblait l’attendre, elle prit ses jambes à son cou, ignorant à quel point son escapade avait peiné le cœur du jeune félin.

" Sans doute, mes griffes l’auront-elles effrayée », songea le malheureux, en examinant d’un air dur, ses mains bestialement onglées.

Le jour même, c’est un rat gras et vieux, qui avait gardé des dents étonnamment aiguisées pour son âge, qui reçut la visite de Soudi.

̶ J’exige que tu me ronges les griffes !

La stupéfaction fit oublier au rat le respect dû au seigneur de la forêt.

- Quoi ? Mais tu es fou ! Tu ne serais pas un lion, si tu ne pouvais plus griffer.
̶  Mes ongles me rendent épineux. Je veux connaître la douceur entre les doigts, lorsque je prendrai Rama, biche que j’aime, dans mes bras. Et maintenant, dépêche-toi d’obéir !

Les ordres du roi de la savane ne pouvant être discutés, le rat exerça ses incisives avec application sur les pattes tranchantes du lion griffu. La tâche lui coûta une matinée de travail, car les ongles étaient longs et durs, mais il n’osa se plaindre.

Quelques heures plus tard, totalement satisfait, le lion admira ses pattes désormais innocentes. C’est au comble du bonheur qu’il retourna se cacher dans les buissons, pour admirer de loin celle que son cœur aimait en secret.

Rama ne tarda pas à arriver, belle et sauvageonne, chantant avec les oiseaux. Sa folle insouciance ne pouvant lui faire deviner qu’un lion la dévorait des yeux d’entre les feuilles, la biche ne se méfia guère. « Comme je l’aime »! Soupira Soudi, qui s’enivrait les yeux des charmantes courbes. Ne pouvant résister davantage, le lion s’approcha, aussi doux qu’un agneau, toutes griffes rongées. La biche l’aperçut. Elle le vit avancer et se dit en tremblant : « voici ma dernière heure venue ». Le lion se rapprocha et tendit ses pattes, voulant prendre la biche contre lui. Mais n’ayant plus de griffes pour agripper, il ne le put. La biche en profita pour s’enfuir de nouveau.

Pauvre Soudi. Il avait pensé qu’une nature sans ongles le rendrait mieux fait. Comme il a eu tort ! « J’ai montré patte blanche mais cela n’a pas suffi. Que veut-elle ? Que dois-je faire pour lui plaire ? ». 

L’amoureux éconduit employa le reste du jour à réfléchir. On le vit, assis sur le pas de sa porte, la tête entre les pattes comme prêt à succomber. Lorsque la solution vint comme par miracle, Soudi se redressa avec une prompte ardeur et se mit aussitôt à marcher. Il se rendait chez le babouin, animal qui s’amuse à se peler les fesses.

Le babouin était suspendu par une main sur la plus grosse ramure d’un arbre ombrageux et se livrait à ses simagrées, lorsqu’il entendit la voix grondeuse de Soudi lui intimer l’ordre de descendre à toute vitesse.

̶ J’exige que tu m’enlèves la crinière, jusqu’à ce que ma tête soit aussi lisse que ton postérieur. Avec autant de poils, j’ai l’air d’un monstre.

̶ M… mais… ta crinière, c’est elle qui te rend lion ! Réussit à articuler le singe, médusé d’étonnement. C’est du poil de la bête ! Ajouta celui qui n’osait croire à la réalité d’une telle exigence.

̶  Si mon cœur est enchanté, peu m’importent mes cheveux.

Le bonheur sauvage qui, à ces mots, illumina le visage de l’amoureux passionné convainquit le babouin. Il n’y avait aucun doute, Soudi avait choisi de s’abandonner sans lutter, à cette étrange chose qu’on appelle amour, songeait le singe, pendant qu’il tondait. Bientôt le crâne fut nu, lisse et poudré. Sans crinière, sans griffes et persuadé qu’il était devenu irrésistible, Soudi retrouva la sérénité.

Comme à son habitude, Rama vint étancher sa soif dans le limpide ruisseau. A peine avait-elle trempé sa bouche dans l’onde que Soudi fût de nouveau devant elle, souriant de toutes ses dents. La biche regarda le lion et n’y vit rien de changé. Elle n’avait d’yeux que pour les crocs mortels, ignorant le regard, que la passion habitait. Croyant venir son trépas, Rama demanda la vie :

̶ Epargne-moi, je t’en supplie à genoux, ô bon et généreux lion. Je te promets de ne plus jamais oser me trouver sur ton chemin. La déception provoquée par ces paroles tétanisa Soudi. Rama en profita pour s’échapper vivement.

La témérité de Soudi n’avait pas payé. Cette fois-ci il accusa ses dents.

« Maudites dents. C’est votre faute, si Rama me prend pour un abominable sanguinaire ».

Par la suite, le même gros et vigoureux rat vit de nouveau arriver Soudi, émouvant dans sa fragilité, la raison égarée.

̶ Qu’exiges-tu de moi encore ? dit le rat d’un ton méfiant.

̶ Veux-tu bien ronger mes dents jusqu’à la racine ? Ainsi qu’elles sont, elles me donnent un air fauve.

̶  Tu perds la tête ! Sans dents, comment feras-tu pour croquer tes proies ?

̶ Je n’ai plus aucun désir de manger. Pouvoir embrasser, cela seul me suffit, répliqua son interlocuteur, entre yeux rouges et soupirs.

̶ L’amour l’a rendu fou. Le voilà bon pour l’asile, maugréa le rongeur, tout en rongeant.

Plus tard, Soudi put repartir sans son sourire carnassier, après que le rat eut travaillé avec application.

 " Rama n’a plus rien à redouter de moi », était-il persuadé, le coeur rempli d’une douce espérance.
Lorsque immanquablement Rama arpenta l’habituel chemin herbu, Soudi la suivit, complètement fou d’amour.

̶ Comme tu es si jolie, Rama. Je veux que tu saches à quel point je t’aime. Je t’aime à la folie ! Déclara le lion, des brins d’amour éclos dans la voix.

̶ Qui es-tu ? 

̶  Je suis Soudi, le lion. Tu ne me reconnais donc pas ?

Deux magnifiques yeux s’agrandirent de stupéfaction. Rama s’approcha, pencha la tête et vit de près tout ce qui séparait ce faux lion du vrai. Un faux lion qui soupirait pour elle ! A cette pensée, un énorme rire lui échappa, un rire grossier qui la secoua toute entière et inonda son regard de larmes joyeuses. Sans crocs, ni griffes et encore moins la crinière, Soudi ressemblait au lion le plus sinistre qu’on pût imaginer.
̶ Comme te voilà changé ! Mais tu n’as rien d’un lion ! S’exclama Rama lorsqu’elle put reprendre son souffle. Comment peux-tu prétendre en être un ? Un lion, c’est fort, ça griffe, ça croque. Où est passée la splendide chevelure qui t’allait si bien ?

La joie cruelle de Rama était pire qu’une insulte, chacun de ses mots, une humiliation. Soudi aurait souhaité mourir sur place.

̶ Un lion, c’est fort, c’est courageux, toi tu me sembles bien mollasson ! S’obstina Rama, enfonçant le clou, jusqu’à la blessure fatale. 

Etre traité de mou alors qu’on est craint et respecté par tous, recevoir tant de mépris de la part d’une femme pour qui vous éprouvez le plus beau des sentiments, pour laquelle vous vous donnez tant de peine, c’est trop dur à entendre. Soudi ne laissa pourtant rien paraître. A son tour, il examina longuement la biche, avec des yeux durs. Il fut étonné de ne lui trouver aucune pureté de beauté : il ne vit qu’un corps vide, sans cœur et sans âme. C’est son ami qui avait raison. Les biches et les lions n’avaient rien en commun. C’était un amour impossible. Toutefois avant de s’éloigner pour toujours, le fauve avait lui aussi quelque chose à dire à Rama, la biche au cœur insoumis qui marche comme une fée et chante comme une sirène.

̶ Toi, Rama, tu n’es pas mon genre non plus cependant je t’ai chérie. Mais tu vaux bien peu ! Quand je pense que j’étais près de mourir d’amour pour toi, que rien ne m’importait plus que le désir de te plaire, je réalise comme j’ai pu être bête. Tu ne mérites pas que je t’accorde un seul de mes regards. Celle qui sera digne de mon amour, m’acceptera tel que je suis, sans que j’aie besoin de rien changer. Maintenant, disparais de ma vue, écervelée qui ne sais pas aimer.

Puis, se rappelant ses fureurs habituelles, le fils du fauve gronda : « estime-toi heureuse que je n’aie plus toutes mes dents, je te croquerais sur-le-champ».

Le lion s’en fut. Il s’éloigna de cette femme qui lui fit souffrir tant de peine. Il s’éloigna non pas gémissant ni pleurant, mais enragé de ce qu’une biche ait pu faire preuve d’une telle outrecuidance envers lui, roi de la faune !

C’est depuis lors que le cœur des biches bondit sans cause. Ces frêles créatures sont toujours sur le qui-vive car à tout instant, un lion peut surgir de la broussaille et fondre sur elles, avec la rapidité d’un rapace. Le fauve sanguinaire n’est pas près d’oublier qu’autrefois, il y a très longtemps de cela, une biche fit à son frère, l’offense de ses superbes dédains. L’audace vaut que toutes soient châtiées.

Gens de Dibombari ! Je ne prétends pas tout savoir, à Dieu ne plaise ! Mais si je n’avais qu’un seul conseil à vous donner, c’est bien celui-ci : préférez l’être au paraître. Vous serez mieux considéré.


Théodora PENDA - « Les voyages incroyables de Tik’a Kulè » Edition EKIMAMEDIA : contact@ekimamedia,com
Disponible dans les librairies en ligne

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