Au Comptoir des Contes
Une sélection de contes de mon répertoire et bien d'autres choses
Le marchand et les 80 chameaux
Darwiche J.
Il était une fois un marchand qui faisait le commerce entre Bagdad et la Chine. Il partait, il vendait, il achetait, il revenait. Et ce marchand était riche, il était même très riche. Il avait à lui tout seul une caravane de quatre-vingt chameaux.
Un jour, le marchand rentrait de Chine, il avait tout vendu, il n’avait rien acheté. Il avait quatre-vingt chameaux qui n’étaient pas chargés.
En plein milieu du désert, avant d’arriver à Bagdad, il a rencontré un vieux derviche, un vieux sage. Que faisait-il là au milieu du désert, l’histoire ne le dit pas.
Le vieux derviche dit au marchand :
- Salam, mon fils, tu as une caravane de quatre-vingt chameaux qui ne sont pas chargés et moi je connais un trésor qui n’est pas très loin. Si tu viens avec moi, on va chercher le trésor.
On le partage en deux. Tu prends la moitié et tu me laisses l’autre moitié.
Le marchand n’a pas hésité un instant.
Le vieux derviche, le marchand et les quatre-vingt chameaux sont partis ensemble. Ils ont marché sous le soleil. Il se sont arrêtés au pied d’une dune. Une dune semblable à toutes autres.
Le vieux derviche a dit :
- On s’arrête ici.
Il s’est baissé, avec son bâton il a dessiné un cercle dans le sable.
Il a écrit des mots que le marchand n’a pas compris.
Il a dit des paroles que le marchand n’a pas compris.
Alors un vent léger s’est levé écartant le sable. Sous le sable, il y avait une dalle.
Les deux hommes ont enlevé la dalle. Sous la dalle, il y avait un escalier qui s’enfonçait au fond de la terre.
Les deux hommes sont descendus. En bas des escalier il y avait une énorme pierre ronde qui barrait le passage.
Le vieux derviche a dit des paroles que le marchand n’a pas compris. La pierre a roulé sur le côté.
Derrière la pierre, il y avait une porte dorée qui s’est ouverte toute seule. Derrière la porte il y avait un palais immense et somptueux. Les deux hommes sont entrés.
Chaque fois que le vieux derviche ouvrait une porte du palais, le marchand ouvrait des yeux comme des soucoupes.
Toutes les salles du palais étaient pleines à craquer de diamants et de perles.
Le vieux derviche dit au marchand.
- Mon fils, ne t’affole pas. Prends les plus gros diamants et les plus grosses perles et laisse les plus petites.
Les deux hommes ont commencé à remplir des sacs et à charger les chameaux.
Ils ont chargé le premier chameau, ils ont chargé le deuxième chameau, ils comptaient les marches raides de l’escalier. A la tombée du jour ils avaient chargé les quatre-vingt chameaux et le trésor dans le palais semblait intact, inépuisable. Le marchand voulait encore prendre des perles et des diamants.
Le vieux derviche lui a dit :
- Mon fils, il faut s’arrêter. Il y a toujours un moment dans la vie où il faut savoir s’arrêter et si tu charges trop les chameaux ils ne pourront pas marcher jusqu’au bout du désert.
Mais avant de quitter le palais qui était sous la terre, le marchand a vu le vieux derviche entrer dans une pièce qui était tout au fond du palais. La pièce était vide, il n’y avait pas de diamants, il n’y avait pas de perles, il y avait une seule chose, il y avait un socle en bois et sur ce socle il y avait une boite minuscule en os de chameau.
Le marchand a vu le vieux derviche prendre la boite et la mettre dans une poche dissimulée dans la manche de sa djellaba.
Les deux hommes sont remontés.
Le vieux derviche a prononcé des paroles que le marchand n’a pas compris. La grosse pierre a roulé et repris sa place.
Les deux hommes ont remis la dalle en place, le vieux derviche a remis du sable,
Il a dessiné un cercle avec son bâton.
Il a écrit des mots que le marchand n’a pas compris.
Il a prononcé des paroles que le marchand n’a pas compris.
Et le vent du désert s’est levé effaçant toute trace.
Le vieux derviche, le marchand et les quatre-vingt chameaux chargés de trésors sont partis sous le soleil. Quand ils sont arrivés au milieu du désert à l’endroit exact où ils s’étaient rencontrés la première fois, le vieux derviche a dit au marchand.
- Mon fils, nos chemins se séparent, toi tu vas vers Bagdad, moi je vais dans l’autre sens, alors choisis quarante chameaux, moi je prendrais les quarante autres.
Le marchand était malin, il choisit soigneusement les quarante chameaux qui étaient les plus chargés. Il les a attachés l’un derrière l’autre et il a pris le chemin de Bagdad.
Le vieux derviche a pris les quarante chameaux qui restaient, il les a attachés l’un derrière l’autre et il est parti dans la direction opposée.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais elle ne vaudrait pas la peine d’être contée.
Lorsque le marchand a fait cinquante pas il a réfléchi et il s’est dit :
- Lui c’est un vieux derviche, il passe son temps à prier qu’est-ce qu’il va faire de quarante chameaux chargés de trésors.
Et le marchand a laissé ses quarante chameaux chargés de trésor et il a couru, il a couru, il a dévalé la dune. Il a rattrapé le vieux derviche et il lui a dit :
- Oh saint homme , tu n’as pas peur que ces quarante chameaux chargés de trésors ne t’éloignent de ta prière ? Pourquoi tu ne m’en donne pas vingt ?
Le vieux derviche a regardé le marchand, il a souri en plissant ces yeux et lissant sa barbe et il a dit :
- Mon fils, tu veux vingt chameaux ? Bien sûr, tu prends vingt chameaux, choisit vingt chameaux.
Le marchand a choisi vingt chameaux, il a rejoint ceux qu’il avait déjà, il les a attachés et il est reparti vers Bagdad avec soixante chameaux chargés de trésors.
Le vieux derviche a poursuivi sa route dans l’autre sens avec les vingt chameaux qui lui restaient.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais lorsque le marchand a fait cinquante pas de plus, il s’est dit :
- Le vieux derviche m’a donné ces vingt chameaux bien facilement, j’aurais du lui en demander trente.
Le marchand a laissé ses soixante chameaux et à grandes enjambées, il a couru il a couru il a rattrapé le vieux derviche et il lui a dit :
- Vingt chameaux chargés de trésors pour un vieux comme toi, qu’est-ce que tu vas en faire ? Tu n’en as pas besoin. Pourquoi tu ne m’en donnes pas dix ?
Le vieux derviche a regardé le marchand, il a souri en plissant ces yeux et lissant sa barbe et il a dit :
- Mon fils, tu veux dix chameaux ? Bien sûr, tu choisis dix chameaux.
Le marchand a choisi dix chameaux, il a rejoint ceux qu’il avait déjà, il les a attachés et il est reparti vers Bagdad avec soixante-dix chameaux chargés de trésors.
Le vieux derviche a poursuivi sa route dans l’autre sens avec les dix chameaux qui lui restaient.
L’histoire aurait pu s’arrêter là , mais lorsque le marchand a fait cinquante pas de plus, il a réfléchi et il s’est dit :
- Moi je suis jeune et fort et lui il est vieux et faible, s’il ne veut pas me donner les dix chameaux qui restent je les prendrais de force.
Le marchand a laissé ses soixante-dix chameaux et il a couru, il a couru, il a couru il a rattrapé le vieux derviche et il lui a dit :
- Ecoute, ne me raconte pas des histoire, chez moi tout le monde sait qu’un vieux derviche ça ne mange pas beaucoup, trois dates et un morceau de pain, c’est tout ce qu’il lui faut, et puis les gens te donneront à manger.
- Pourquoi tu ne me donnes pas les dix chameaux qui restent ?
Le vieux derviche a regardé le marchand, il a souri en plissant ces yeux et lissant sa barbe et il a dit :
- Mon fils, tu veux les dix chameaux qui me restent ? Bien sûr, tu les prends. Prends les dix chameaux.
Le marchand a pris les dix chameaux qui restent, il a emmenés avec les soixante-dix qu’il avait déjà, il les a attachés, il avait maintenant quatre-vingt chameaux chargés de trésors.
C’était l’homme le plus riche de la terre. Le marchand sautait et dansait en riant comme un enfant.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais c’est alors que le marchand s’est rappelé , il s’est rappelé qu’avant de quitter le palais sous la terre, le vieux derviche avait ouvert une petite pièce au fond du palais , il avait pris une minuscule boite en os de chameau, il l’avait mise dans une puche dans la manche de sa djellaba.
Alors le marchand s’est dit :
- J’en suis sûr ! Je suis sûr que cette boite est bien plus importante que toutes ces perles et tous ces diamants, sinon le vieux derviche ne m’aurait pas donné ses chameaux si facilement.
Le vieux derviche était loin, mais le marchand était jeune, il a couru, il a couru, il a couru et il a rattrapé le vieux derviche et il lui a dit :
- Ecoute, je t’ai vu. Je t’ai vu prendre une boite en os et tu l’as mise dans la poche de ta manche. Tu veux pas me la donner ?
Le vieux derviche a regardé le marchand, il a souri en plissant ces yeux et lissant sa barbe et il a dit :
- Mon fils, tu veux la boite ? Tiens, voilà la boite et il l’a faite glisser de la poche de sa manche.
- Mais tu fais attention. Dans cette boite il y a de la pommade. Si tu en mets sur ton œil droit, tu verras tous les trésors de la terre. Pas tous ensemble, tu les verras l’un après l’autre, tu verras où ils se trouvent, quels chemins il faut prendre pour y aller, comment faire pour les chercher, qu’est-ce qu’il y a dedans, les précautions à prendre. Tous les trésors de la terre sont à toi.
- Mais fait bien attention, si tu mets de la pommade sur ton œil gauche tu deviens instantanément aveugle, à l’instant même tu ne verras plus rien. Les ténèbres pour le restant de ta vie.
Le marchand était méfiant, il a pris la boite et il a attendu. Il a attendu que le vieux derviche s’éloigne. Il n’a pas attendu longtemps, à peine s’était-il retourné que le vieux derviche avait disparu comme avalé par le désert.
Le marchand a ouvert la boite, le vieux derviche avait raison. Dans la boite il y avait une pommade. Le marchand a pris de la pommade sur son index droit et il a mis de la pommade sur son œil droit.
C’était extraordinaire, il a commencé à voir tous les trésors de la terre l’un après l’autre, comment faire pour les trouver, tous les trésors de la terre étaient à lui, à lui seul !
Et le marchand s’est dit :
- J’en suis sûr, le vieux derviche ne m’a pas tout dit. Je suis sûr que si je mets de la pommade sur mon œil gauche, je verrais aussi tous les trésors de la mer et des océans qui sont encore plus fabuleux que ceux de la terre.
Alors le marchand a pris de la pommade sur son index gauche et il l’a mise sur son œil gauche et à l’instant même, à l’instant même il est devenu aveugle. Aveugle seul en plein milieu du désert, il n’a jamais retrouvé ses quatre-vingt chameaux et le chemin de Bagdad.
Et l’histoire dit que dans le désert il y a un troupeau de quatre-vingt chameaux chargés de trésors qui tournent en rond. Alors si un jour vous y allez ouvrez bien les yeux, peut être les trouverez-vous.
Cette histoire est finie.