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L'empereur en herbe

Traditionnel

Jusqu'à présent il ne s'en était pas vraiment rendu compte. Après de longues années il était enfin parvenu à mettre fin aux guerres séculaires entre les cinq royaumes combattants. Mais l'équilibre était encore fragile, l'empire si vaste, et les périls extérieurs si menaçants qu'il n'avait pas beaucoup de temps pour lui.
Il ne trouvait un peu de calme que dans son jardin. Il aimait s'occuper lui même de sa collection de chrysanthèmes tous plus resplendissants les uns que les autres.
Etait-ce en regardant ses mains ? Ses mains à la peau fine et translucide comme du parchemin qui laissaient voir ses veines bleutées.
En regardant ses mains, en un instant il réalisa qu'il était devenu vieux, très vieux.
Une évidence lui apparu, absolue : il fallait qu'il se trouve un successeur.
Certes, il avait de nombreux fils. L'impératrice lui en avait donné cinq et il ne comptait pas ceux de ses concubines. Mais à y réfléchir aucun ne lui semblait avoir les qualités requises pour régner et assurer le bonheur du peuple. Ils avaient été élevés dans la soie et l'opulence par leurs mère et lui, toujours en campagne n'avait pas eu le temps de s'occuper de leur éducation.
Maintenant il le regrettait, mais on ne change pas le passé. Il lui fallait trouver quelqu'un de jeune, honnête et courageux qu'il aurait pu préparer pendant les années qui lui restaient à vivre.
Il écarta les fils de tous ses courtisans, trop veules,
les fils de tous ses lettrés, trop imbus de leur savoir,
les fils de tous ses généraux, trop ambitieux,
les fils de tous les gros propriétaires, trop avides
les fils de tous les riches commerçants, trop malhonnêtes.
Il ne restait que les fils du peuple.
Il prit du temps, pour se décider. Et un jour enfin,
Vers les quatre horizons partirent ses émissaires porteurs de sa déclaration:
L'empereur cherche un jardinier pour s'occuper de ses chrysanthèmes !
Que tous les candidats se présentent au palais le cinquième jour du mois de Jingze !
Le jour venu, ils sont nombreux réunis en rang serrés dans la grande cour du palais impérial.
Les gardes du palais passent entre les rangs et remettent à chacun des prétendant une graine de chrysanthème.
L'empereur sur son trône, en haut de l'escalier bordé de lions de pierre entouré de ses conseillers. Il fait un signe à grand chambellan qui se penche pour écouter ses ordres. Celui-ci répète les ordres aux mandarins de premier rang, ceux-ci font de même aux mandarins de second rang, lesquels répercutent les ordres aux gardes. D'une seule voix, les gardes clament à tue tête les ordres de l'empereur :
Rentrez dans vos villages et prenez soin de cette graine. Revenez dans douze mois. Celui qui aura fait pousser la plus belle fleur sera admis dans la Cité interdite et deviendra le premier jardinier de l'empereur.
Quel honneur pour un fils de paysan !
Kim Li était venu des lointaines collines du nord, il avait les mains vertes, il aimait les fleurs, il était certain de réussir. De plus il savait qu'il pourrait compter sur les conseils avisés de son grand père.
Revenu chez lui, Il enfouit la graine dans du terreau moelleux dans un petit pot qu'il avait garni de petits cailloux pour assurer un bon drainage.
Il installa le pot près de sa natte sur le rebord de la fenêtre.
Jour après jour il l'arrosait, juste ce qu'il faut. Il s'assurait d'un éclairage modéré, déplaçant légèrement le pot pour éviter le soleil direct.
Et il attendit patiemment.
Au sortir de l'hiver il guetta la moindre boursouflure à la surface de la terre. Normalement la plantule devait faire son effort pour sortir de terre.
Mais rien.
Il parlait à sa graine doucement, l'encourageant à germer.
N'ai pas peur lui disait-il, je prendrais soin de toi quand tu sera sortie de ton abris douillet.
Les jours allongeaient avec le printemps, Mais toujours rien.
Ne craint rien, le soleil ne te brulera pas, ne reste pas seule dans le noir.
Kim Li avait installé un petit abris en paille fine au dessus du pot. Mais toujours rien.
L'été approchait, les autres fleurs du jardin s'épanouissaient.
Sors donc de ta solitude, les autres fleurs t'attendent et tu seras la plus belle.
Mais toujours rien.
Kim Li commençait sérieusement à s'inquiéter. Qu'avait-il fait de mal ?
Il ne savait plus quoi faire et alla demander conseil à son grand père.
Aie confiance, fait selon ton cœur. Lui dit-il.
La date fatidique où il devrait retourner au palais impérial approchait.
Kim Li était désespéré, mais il continuait à s'occuper de son pot du mieux qu'il pouvait, parlant à sa graine en l'encourageant.
Le jour venu Kim Li ne voulait pas se présenter devant l'empereur avec son pot vide.
Tu as fait de ton mieux, tu n'as pas avoir honte. Tu dois y aller lui dit son grand père.
Le flot des enfants converget vers le palais impérial comme des ruisseaux qui se réunissent pour former une rivière puis un fleuve. Un fleuve coloré des milles chrysanthèmes resplendissants que chaque enfant porte fièrement se moquant de Kim Li avec son pot vide.
La grande place de la cité impériale est comme un immense tapis de fleurs. Et là au troisième rang un peu sur le coté se tient Kim Li, la tête baissée.
En haut des escaliers, est rangée la garde impériale. Enfin, les tambours , les gongs annoncent l'apparition de l'empereur. Celui ci contemple le déploiement chamarré. Puis son regard s'arrête sur le troisième rang un peu sur la gauche. Kim Li a les jambes qui flageolent.
L'empereur fait un geste. Deux gardes formidables descendent, ils écartent les deux premiers rangs et encadrent Kim LI.
Ils remontent tout trois les escaliers dans un silence total.
Les mains puissantes des gardent se font lourdes sur les épaules de Kim Li.
Kim Li se prosterne devant l'empereur le front contre le sol, son petit pot vide devant lui.
- Quel est ton nom ?
- Kim Li majesté.
- Alors, Kim Li, c'est tout ce que tu as à m'offrir ?
Sans oser lever les yeux, Kim Li répond :
- Majesté j'ai fait de mon mieux, mais la graine n'a pas voulu germer.
- Redresse toi Kim Li, et viens t'assoir à mes côtés.
- Qu'on renvoie tous ces imposteurs !
- Toutes les graines que je vous ai données étaient stériles,
- Kim Li tu es le seul qui a eu l'honnêteté de reconnaitre son échec et le courage d'affronter des railleries et de se présenter devant moi tel que tu es.
- Kim Li , je te ferais instruire et tu seras mon successeur.
Les conseiller murmurent dans le dos de l'empereur. Il est si jeune, il ne sait rien.
L'empereur les fait taire :
- On peut instruire un homme honnête et courageux mais on ne peut pas apprendre l'honnêteté à un imposteur.

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