Au Comptoir des Contes
Une sélection de contes de mon répertoire et bien d'autres choses
Bisogniu
Traditionnel
Une fois, il y avait, dans un pays, un homme qui s'appelait Bisognu, un malheureux (bisognu, ça veut dire « besoin »). A cette époque, le Bon Dieu, Saint Pierre et Saint Paul se promenaient sur la Terre. En voyageant à droite et à gauche, ils sont arrivés un soir en pleine campagne, dans une forêt, là où demeurait Bisognu. Ils ont été loger chez lui.
Le lendemain matin, après leur départ, Saint Pierre a dit au Bon Dieu :
— Il faudrait récompenser Bisognu de son hospitalité !
— Va donc lui demander ce qu'il désire.
Voilà Saint Pierre qui retourne à la cabane du pauvre homme. Saint Pierre dit à Bisognu :
— Dites ce que vous désirez, et ça vous sera accordé par le Bon Dieu, en récompense de votre hospitalité.
Alors, le vieux a dit :
— Regardez ! devant cette petite fenêtre, il y a de l'amadou : tous ceux qui viennent ici en prennent un bout, et moi, je ne peux jamais en avoir. Je voudrais que les passants soient pris la main dedans, et qu'ils ne puissent pas la retirer sans que je le veuille.
Saint Pierre s'en revint dire ça au Bon Dieu :
— Voilà ce qu'il a demandé !
Le Bon Dieu dit :
— On va essayer encore une fois.
Saint Pierre s'en retourne chez Bisognu, et lui dit :
— Demandez une autre grâce.
Le vieux Bisognu lui répond :
— Vous voyez ce banc : c'est la plus belle place en hiver, près du feu. Tous ceux qui arrivent ici s'y assèyent, et moi je ne peux jamais me chauffer. Je voudrais que si quelqu'un s'assied là, il ne puisse plus se lever sans ma permission.
Saint Pierre retourne auprès du Bon Dieu :
— Regarde encore ce qu'il m'a demandé !
— Tiens ! essaie donc une troisième fois.
Saint Pierre revient auprès de Bisognu :
— Va jusqu'à trois demandes ! Tu peux encore obtenir une autre grâce !
Le vieux dit :
— Regarde ce poirier que j'ai sur la place. Je ne peux jamais prendre une poire dessus. Je voudrais, si quelqu'un monte dessus, qu'il ne puisse pas en descendre sans que je le veuille.
La troisième grâce lui a été accordée, comme les deux autres.
Et puis, comme il était vieux, la Mort, un jour, vint le trouver.
— Tu sais, Bisognu, tu te fais vieux. Il serait temps qu'on s'en aille !
Alors, Bisognu a dit :
— Oui, je veux bien ; mais avant, il faudrait que tu me prennes un morceau d'amadou, devant la petite fenêtre.
La Mort passe la main pour en prendre, et ne peut plus la retirer ! Elle implore Bisognu :
— Tire-moi de là ! Je t'accorde encore cent ans de vie.
Bisognu le lui fait promettre ; et la Mort s'en va.
Voilà que les cent ans sont passés, la Mort revient. Elle lui dit :
— Tes cent ans sont passés. Tu vas me suivre !
Alors, il lui répond :
— Je veux bien. Assieds-toi là, sur le banc, près du feu : on va se chauffer un peu.
Il la fait entrer et s'asseoir sur le banc ; et puis, il allume un bon feu. Quand la Mort a voulu se lever, elle n'a jamais pu : elle restait collée au banc !
Elle finit par lui dire :
— Ecoute, Bisognu. Tire-moi de là, je te laisserai encore cent ans de vie.
Bisognu dit :
— Ça va !
Il la laisse partir, et la Mort s'en va.
Mais voilà les deux cents ans passés ! La Mort revient frapper à la porte du vieux.
— Ecoute, maintenant, ça suffit. On va s'en aller.
C'était sans doute la saison des poires.
Bisognu lui dit :
— Avant de s'en aller tous les deux, tu vas monter dans le poirier cueillir des poires.
La Mort monte, elle prend quelques poires, et veut redescendre : elle ne peut pas quitter l'arbre ! Bisognu l'a laissée deux ou trois jours accrochée dans les branches. La Mort lui dit :
— Fais-moi descendre du poirier. Je ne viendrai plus jamais te chercher !
Et voilà comment Bisognu n'est jamais mort : on a toujours besoin de quelque chose ici-bas !
Fola foletta Fable, petite fable
Mett' in calzetta Mettez-la dans la chaussette
Dide a vostra Dites la vôtre
A mea è detta La mienne est dite
Conté en français en octobre 1955 par M François Peretti, propriétaire terrien,
63 ans, à Loriani, dans la commune de Cambia, canton de St-Laurent, dans la
Castagniccia.