top of page

La mule du Sgio

Joseph l'Ancien

L'histoire que je vais vous raconter, vous ne la trouverez pas dans des livres. Elle m'a été racontée par un soir d'été par Joseph, un ancien du village de Spéloncato.
Au début du siècle, du siècle précédent bien sûr, le village était un village prospère. Aujourd'hui on a tendance à idéaliser le passé : tout était mieux avant dit-on. Mais ce n'est qu'une idée reçue. et l'histoire que je vais vous raconter va vous le montrer.
Dans le village, comme dans bien d'autres, il y avait trois sortes de familles.
D'abord il y avait les propriétaires, ceux qui possédaient les terres, les meilleures bien sûr. Ils avaient de vastes et belles demeures, on les appelait les Sgio.
Ensuite, il y avait les familles dont les revenus étaient assurés de par la situation d'un des membres de la famille. Les ecclésiastiques, les militaires, gradés ou non, les fonctionnaires haut placés ou modestes, et puis ceux qui avaient émigrés et qui avaient réussis sur le continent ou aux colonies et puis il avait ceux qui avaient fait fortune aux Amériques.
Enfin, il y avait les autres, ceux qui n'avaient rien ou presque. Une petite maison modeste, un lopin de terre difficile à travailler, un petit jardin des fois, un poulailler, un cochon parfois.
Ceux là, ils n'avaient que leurs bras, leurs bras qu'ils pouvaient louer pour
Il n’ y a pas si longtemps, ils étaient nombreux au village à devoir se louer pour gagner quelque argent et subvenir aux besoins de leur famille, qui généralement était nombreuse.

Ainsi le matin ils se réunissaient sur la place et attendaient que les propriétaires viennent les embaucher pour la journée. Parmi ceux-ci il y en avait un qui était toujours juché sur sa mule et qui passait là fièrement pour choisir les hommes qu'il embaucherait à la journée.
Au moment des vendanges, des fenaisons où de la récolte des olives, il y avait du travail pour tous, mais cela n’était pas toujours le cas tout au long de l’année.
Alors ceux qui n'avaient pas été choisis rentraient à la maison, la tête basse et tachaient de s'occuper utilement quand ils n'allaient pas passer la journée à jouer aux cartes au café.
La journée de travail terminée, lorsque le temps était doux, ils se retrouvaient sur la place pour échanger quelques mots avant de rentrer pour dîner à la maison, mais ils attendaient aussi que les propriétaires repassent.
Celui dont nous avons parlé avait pour habitude de faire le tour de ses propriétés sur sa mule pour s’assurer que les hommes qu’il avait embauchés le matin avaient bien travaillé. En revenant de ses champs, il repassait ensuite fièrement sur la place. Les journaliers alignés le saluaient respectueusement.
Il y en avait un en particulier qui s'appelait Santu. Santu c'était une forte tête, et lui il ne manquait pas de s’incliner avec une obséquiosité incroyable. Il balayant le sol d’un geste ample de sa casquette, à plusieurs reprises. Et ceci tous les jours.
Au bout de quelques temps, le propriétaire en était assez irrité, et d’un geste lui signifiait de cesser ses salutations embarrassantes
Mais Santu, il n'en avait rien à faire. Tous les jours il y allait e son coup de casquette.
Un beau jour, ni tenant plus, le propriétaire l’interpella :
- Et Santu ! J'en ai assez que tu me salue comme ça ! Qu’est ce que tu as à me faire de telles courbettes ! Cesse donc !
- Santu lui a répondu : ce n’est pas toi que je salue c’est ta mule. Si elle n'était pas là c’est nous qui devrions te porter !
Inutile de vous dire que Santu il n'a plus trouvé à se faire embaucher au village. Il a dû s'exiler sur le continent. Là, on ne sait pas trop ce qu'il faisait.
Mais quelques années plus tard, il est revenu, il avait un magnifique costume de flanelle grise et un chapeau assorti. Il conduisait une automobile décapotable rutilante, dont les chromes brillaient au soleil.
Le propriétaire, lui, il était toujours sur sa mule.
Et l'histoire et terminée.

bottom of page