Au Comptoir des Contes
Une sélection de contes de mon répertoire et bien d'autres choses
Scambaronu
Ortoli J.B.
Scambaronu ou les boucles d'argent du curé
Voici la version d'origine collectée par Jean Baptiste Frédérique Ortoli instituteur, grand collecteur de contes de corse publié à la fin du XIXi-ème siècle, et dont je me suis inspiré pour l'histoire telle que je la raconte.
Le boucles du curé in Les Contes populaires de l'île de Corse, J-B-P. Ortoli, Paris 1883
Il y avait un jour un curé très savant et très riche, mais qui n'aimait pas beaucoup dénouer les cordons de sa bourse. A part cela, c'était le meilleur homme du monde; il visitait les malades et aurait fait dix lieues pour leur porter le saint viatique. Or, ce curé possédait deux belles boucles d'argent qui servaient d'ornement à ses souliers. Il y tenait beaucoup à ses belles boucles d'argent, mais qu'est-ce que cela faisait à Scambaronu ? Celui-ci résolut de s'en emparer et même de se faire donner l'absolution .
Un matin donc, Scambaronu, tout bouleversé et les cheveux en désordre, vint frapper à la porte du presbytère. Comme il était encore de bonne heure, la servante cria :
— « Qui est là ?
— C'est moi, moi Joseph Scambaronu ; je voudrais parler à l'instant à monsieur le curé.
— Venez plus tard, il est encore au lit. »
Mais cela ne lui convenait pas ; aussi, se mit-il à faire un bruit épouvantable à la porte. Ce tapage réveilla le curé, qui dit à la servante de le faire entrer.
— « Eh bien ! mon ami, qui donc vous a réveillé si matin ?
— Ah l monsieur le curé, quel rêve affreux j'ai eu cette nuit. Un ange m'est apparu et, l'épée flamboyante, m'a annoncé que si ce matin je ne me confessais pas de tous mes péchés, je n'aurais pas dix jours à vivre. En même temps, J'ai été transporté aux enfers, où j'ai vu tous les supplices que souffrent les damnés.
— Ceci est un avertissement du ciel, mon ami, tes péchés ont comblé la mesure et il est temps que tu te repentes.
— Dieu, qui voit en ce moment mon âme, sait, monsieur le curé, si mes intentions sont bonnes ; aussi, laissez-moi me jeter à genoux, afin que je puisse commencer ma confession. »
La paire de souliers aux belles boucles d'argent était aux pieds du lit. Scambaronu s'en approcha, puis il commença ainsi :.
— « Je m'accuse de n'avoir pas été à la messe tous les dimanches ; au lieu d'aller labourer mon champ, j'ai mieux aimé boire une bonne bouteille, et cela lorsque mes enfants avaient besoin de pain.
— Ceci est très grave ; il faut tâcher de te défaire de cette mauvaise habitude.
— J'arrive maintenant à un péché qui me tourmente beaucoup ; j'ai volé une paire de boucles d'argent.»
Et en même temps Scambaronu s'emparait de celles du curé et les mettait dans sa poche.
— « Comment, vous avez volé? Je n'aurais point cru cela de vous ; il faudra rendre ces boucles à leur propriétaire. »
Scambaronu se frappa la poitrine, puis il continua:
— « Lorsque je perds au jeu, je fais toujours de grands jurons ; hier encore, j'ai battu ma femme qui me faisait des reproches sur ma conduite.
— Ah ! cela est mal, mais continuez.
— Dites-moi, monsieur le curé, voulez- vous prendre ces boucles que j'ai volées?
— Moi? non, je n'en veux pas.
— Je me mets souvent en colère, et alors je ne sais plus ce que je fais; j'ai tenu de méchants propos sur notre bonne et sainte Vierge ; j'ai médit d'une belle voisine...
Mais, dites-moi, monsieur le curé, si le maître des boucles ne les veut pas, que dois-je en faire ?
— S'il ne les veut pas, tu peux les garder. »
Le rusé Scambaronu continua ainsi longtemps à raconter tous ses péchés. Quand il eut fini il demanda l'absolution, puis se retira paru contrit et comme transfiguré par les bonnes paroles et les encouragements au bien que ne manqua pas de lui prodiguer son confesseur.
Mais qui est-ce qui fut le plus surpris lorsque le curé se leva de son lit ?
Assurément, ce n'est pas Scambaronu.
(Conté en 1882 par Antoine Lucien Ortoli, officier d'Académie, propriétaire à Olmiccia-di-Tallano).