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Le perroquet et le marchand

Traditionnel

Il était une fois un marchand qui parcourait le monde pour y chercher les objets les plus rares et les plus précieux.
Sa boutique était la mieux garnie du grand bazar, elle regorgeait des plus beaux tapis, vases, bijoux , coffres. Et il était honoré de la clientèle des notables de la ville : le Cadi, le Grand Vizir, et même le Sultan le faisait quérir pour que, au retour de ses voyages, il présente au Palais ces plus belles acquisitions.
Ses affaires étaient tellement prospères qu'il avait fait construire un palais en dehors de la médina près de celui du Sultan, tout en ayant soin de ne pas de ne pas lui faire de l'ombre.

Mais ce qu'il avait de plus précieux, un véritable trésor vivant.
Et ce trésor vivant, il le gardait jalousement pour lui dans un petit pavillon aménagé au centre de son jardin persan, véritable évocation du paradis terrestre.
Et dans ce petit pavillon il avait fait installé une table incrustée d'ivoire et d'ébène.
Et sur cette table il avait fait poser une cage d'or.
Et dans la cage il y avait un oiseau.

Mais ce n'était pas n'importe quel oiseau : celui là, il portait sur son corps toutes les couleurs du monde ; et surtout cet oiseau-là, il connaissait tous les langages du monde.
Ce trésor vivant il l'avait ramené des Indes.

Depuis qu'il avait cet oiseau extraordinaire, on ne le voyait plus beaucoup dans sa boutique, il avait suffisamment de vendeurs et de rabatteurs pour s'en occuper. D'ailleurs on ne le voyait pas beaucoup nulle part, car il ne sortait presque plus sauf pour partir en voyage à la recherche de nouvelles marchandises.
Sa femme non plus sortait rarement.

Aussi les commérages et les ragots allaient bon train.

- Regarde la fortune qu'il a amassée en quelques années.
- A celui là il garde tout pour lui !
- Même les jours de marchés sa femme ne sort pas. Même accompagnée de ses servantes.
- La dernière fois que je l'ai vue c'était il y a un mois, derrière son moucharabié.
- Et pourquoi a-t-il embauché un jardinier muet ? Il aurait quelque chose à cacher que ça ne m'étonnerait pas !

Et il n'y avait pas une journée, pas une seule, sans que le marchand ne vienne s'asseoir dans son jardin pour écouter l'oiseau parler, dans tous les langages qu'il connaissait.
Mais il n'y avait pas une journée sans que l'oiseau, à un moment ou à un autre, ne s'arrête de chanter ou de parler, simplement pour lui demander quelque chose.
Et chaque fois il lui demandait la même chose.
Chaque fois, il lui disait :
- S'il te plaît, mon maître, mon bon maître, puisque tu dis que je suis ton trésor le plus précieux, alors, tu pourrais peut être m'accorder une faveur ?
- Bien sûr, répondait le marchand, tout ce que tu voudras ! Dis moi ce qui te ferait plaisir.
- Accorde moi ma liberté ! répondait l'oiseau.
Mais c'était bien trop demander au marchand. Chaque fois qu'il entendait ça, il était gêné, il regardait par terre. Puis il était comme ça, c'était son caractère : quand il était gêné, il se mettait en colère.
- Mais qu'est ce que tu crois ! Tu crois que je vais laisser s'envoler son trésor, comme ça ?
- Qu'est ce que tu t'imagines ?
- Ta place est ici, tu n'es pas bien ici ?
- Tu as les graines de tournesol les plus charnues, le millet les plus fraîches.
- Tu as une baignoire de cristal, de l'eau de rosée pour te désaltérer. Tu es à l'abris des chats et des éperviers.

Et comme l'oiseau n'aimait pas voir son maître en colère, chaque fois qu'il entendait ça, il parlait d'autre chose...

Puis un jour, le marchand se préparait à partir pour faire un grand voyage pour faire ses affaires de marchand. Alors la veille de son départ il est allé trouver l'oiseau, et il lui a dit :
- Tu sais, demain, je ne viendrai pas m'asseoir, comme je le fais chaque jour pour t'écouter. Demain je serai loin, je serai en voyage. Ça prendra plusieurs semaines, mais je ne t'oublierai pas : D'ailleurs tu sais, le pays où je vais, c'est un pays que tu connais bien. C'est le pays où tu es né ! Alors puisque je vais dans ton pays natal, si tu veux, je te rapporte quelque chose. Dis moi ce qui te ferait plaisir.

Oh! a dit l'oiseau, tu vas dans mon pays ! Alors, s'il te plaît... rapporte moi ma liberté !
Et le marchand une fois de plus s'est mis en colère :
- Il n'en est pas question. Demande moi tout ce que tu voudras, mais ça, je ne peux pas te l'accorder.

Mais cette fois l'oiseau, au lieu de se taire comme d'habitude lui a dit :

- Alors, je veux que tu ailles dans la forêt où je suis né. Au plus profond de cette forêt il y a un arbre blanc, et dans cet arbre tu verras des milliers d'oiseaux aux mille couleurs comme moi, exactement. Ce sont mes frères.
- Hé bien si tu veux vraiment me faire plaisir, va dire à ses oiseaux que je suis chez toi, dans ton palais. Tu leur diras que je suis en bonne santé, que je pense souvent à eux. Et que j'aimerais bien avoir un peu de leurs nouvelles. Tu veux bien faire ça pour moi ?
D'accord a dit le marchand. Et le marchand est parti, il a pris une tartane pour traverser les mers, il s'est joint à une caravane pour traverser le désert. Il a traversé des pays, des pays entiers. Puis il est arrivé enfin à Chandernagor pour y faire ses affaires.
Et une fois ses affaires terminées, il a demandé qu'on le conduise dans cette forêt. Ce n'était pas une expédition de tout repos. Les porteurs et le palanquin dans lequel il était installé avançait péniblement dans cette jungle. Puis il a demandé qu'on le laisse seul. Et lentement il s'est enfoncé dans la forêt. Il a marché sous les arbres pendant des heures, il est allé au plus profond. Puis bientôt il l'a vu !
C'était vrai: il y avait là un arbre blanc. Et dans cet arbre, il y avait des milliers, des milliers d'oiseaux aux mille couleurs, exactement comme le sien. Alors le marchand s'est arrêté au pied de l'arbre, et il a dit à tous ces oiseaux qui étaient là :
- Un de vos frères est ma joie, mon trésor et vit chez moi, dans mon palais. Il m'envoie vous dire qu'il est en bonne santé, qu'il pense souvent à vous... et qu'il aimerait avoir un peu de vos nouvelles...
Un des oiseaux vient, se pose sur une branche tout en restant à une distance respectable et lui dit :
- Pourquoi n'est il pas venu lui même nous dire cela.
- Parce qu'il est trop précieux pour moi, je le garde dans une cage dorée, il ne manque de rien, il a nourriture en abondance et de l'eau claire tous les matins.

Mais à peine le roi avait fini de parler, que l'oiseaux tombe de la branche où il était, par terre comme une pierre, comme s'il avait été foudroyé par quelque chose.
Alors le marchand s'est troublé. Il s'est penché. Il a ramassé l'oiseau, il l'a retourné, il l'a secoué : il n'avait plus entre les mains qu'un petit oiseau inerte. Et il s'est dit :
- C'est ma faute : cet oiseau n'a pas supporté d'apprendre que son frère était prisonnier. Il s'est laissé mourir de chagrin comme ça, d'un seul coup. Ce sont mes paroles qui l'ont tué !

Et le marchand a déposé le corps de l'oiseau au pied de l'arbre et s'en est retourné chez lui, sans rien dire, sans rien oser demander d'autre. Il lui fallu plusieurs semaines de voyage et jour après jour l'inquiétude le gagnait , il avait un pressentiment funeste.
Arrivé dans son palais, la première chose qu'il a faite, c'est de courir au jardin, d'entrer dans le pavillon.
Il y avait toujours la table, la cage, et dans la cage son oiseau était toujours là, bien vivant. Alors le marchand s'est assis, soulagé. Mais l'oiseau, lui, quand il a vu le marchand entrer, il était tout joyeux et il lui a dit :
- Bonjour mon bon maître ! Tu as fait bon voyage ? Alors raconte ! Quelles sont les nouvelles ?
- Oh ! a dit le marchand, j'ai peur d'apporter de bien tristes nouvelles !
Et il commence à raconter ce qui s'était passé là bas dans la forêt. Mais à peine avait il fini de parler que son oiseau tombe au fond de la cage, comme une pierre, comme l'autre là bas ! Alors le roi se précipite, ouvre la cage, prend son oiseau, le retourne, le secoue : il n'avait plus entre les mains qu'un petit oiseau mort.
Après avoir longtemps pleuré, le roi s'est levé puis il est allé vers la fenêtre, et sur le bord il a déposé le corps de son trésor. Mais à travers les larmes qu'il avait dans les yeux, le roi a vu l'oiseau aux mille couleurs, son oiseau, se réveiller, sauter, s'envoler et se poser sur le plus grand arbre du jardin !
Et il a entendu l'oiseau lui dire :
- Merci ! Hé bien, tes nouvelles étaient pour moi de bonnes nouvelles ! Rassure toi : l'oiseau que tu as vu mourir là bas dans la forêt, mais il n'est pas mort comme tu croyais ! Il faisait semblant : il était simplement en train de dire ce que j'aurais à faire pour retrouver ma liberté.
Aujourd'hui c'est une belle journée, non, tu ne trouves pas ? Et aujourd'hui surtout, toi et moi nous avons appris quelque chose: toi, en faisant le messager pour une fois, tu viens d'apprendre qu'un bon messager ne doit jamais tout à fait comprendre le message qu'il apporte. C'est beaucoup mieux comme ça!
Et moi, je viens d'apprendre juste là, à l'instant, que la liberté n'est pas une fleur qui se demande... mais qui se prend ! Je te souhaite longue vie, que notre histoire nous accompagne !

Et on raconte que le marchand a lentement a refermé la fenêtre, et qu'à travers la vitre il a regardé au loin son trésor disparaître. Tout étonné de sentir tout à coup son visage illuminé par un sourire nouveau.

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