Au Comptoir des Contes
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La légende de la grotte aux fées d'Utelle
Traditionnel
La légende de la grotte aux fées d'Utelle
Adaptation personnelle
Au nord du village tout près du Brec d'Utelle, se trouve la baisse de Castel Ginesté.
A proximité du col s'ouvre dans le sol une grotte qui s'enfonce profondément dans la montagne. On n'a pas pu aller au delà de 200 mètres environ. Au bout de la galerie se trouve une porte naturelle allant en se rétrécissant pour ne devenir qu'une grande fissure. On ne peut la franchir, la légende rapporte qu'au delà se trouve le royaume souterrain des Fées. D'où le nom qu'on lui a donné "La grotte aux fées".
Ha ! Les Fées qui n'a rêvé d'en rencontrer une ?
Notre monde moderne et rationnel les a oubliées et peut être s'en portent-elles très bien.
Les enfants d'aujourd'hui n'en connaissent que l'image policée rose bonbon ou bleu layette dont les a paré Walt Disney dans Blanche Neige et Cendrillon. Elles viennent toujours à point nommé pour tout arranger d'un coup de baguette magique.
Mais les Fées qui sont autour du Castel Ginesté ne sont pas de cette sorte de Fées édulcorées elles sont bien plus mystérieuses, fantasques et imprévisibles et porteuses de sens caché qu'il nous faut découvrir.
Nous y voila donc.
Il y a longtemps, fort longtemps, une Fée belle comme le jour se promenait non loin du col de Castel Gineste quand elle eut une grande surprise. Portée par une brise légère, une douce mélodie lointaine montait jusqu'à elle. Un air tout simple et mélancolique. La Fée en fut toute émue.
Intriguée, elle s'approche précautionneusement de l'endroit d'où semble venir cette musique. Cachée derrière un buisson elle découvre, adossé contre un rocher, un jeune berger qui s'était arrêté pour se reposer un instant après la rude montée du village. Il jouait du galoubet, une sorte de flute à trois trous. Immobile, les yeux mi-clos, seuls ses doigts semblent danser sur la tige du galoubet. Son fin visage encadré des boucles noires de ses cheveux dégage une distinction naturelle qui contraste avec ses vêtements grossiers
Subjuguée, la Fée attend la fin de la mélodie toute étonnée de son émoi. Le morceau terminé, elle se redresse et s'approche doucement du jeune berger qui semble rêver. Mais une brindille craque sous ses pieds. D'un bond le berger se redresse, il est grand est bien fait de sa personne. A quelques mètres l'un de l'autre, le berger et la Fée restent immobiles et se dévisagent. Le berger se demande qui est cette ravissante jeune fille dans sa longue robe de fin tissus brodé de fils d'or. Il ne l'a jamais vue au village , et cette robe, et ses longs cheveux noir et ce regard intense ! Pas de doute ce ne peut être qu'une Fée !
Après un long moment, la Fée demande au berger :
- Voudrais-tu jouer encore pour moi ?
- Avec grand plaisir ma belle dame, mais à une condition.
- Laquelle ?
- Que vous me disiez qui vous êtes et d'où vous venez.
Après un moment d'hésitation la Fée répond :
- Je suis Bianca, la cadette des Fées de Castel Ginesté et j'habite avec toutes mes sœurs la grotte qui s'ouvre sous le col.
- Me montrerez vous cette grotte ?
- Je ne le peux, seules les Fées qui ont tout pouvoirs, peuvent en franchir l'étroite porte qui mène vers notre royaume souterrain, et toi quel est ton nom ?
- Baptiste ma belle dame, répond le pâtre.
- Eh bien Baptiste j'attends, joue donc pour moi, dit la Fée en s'installant confortablement à l'ombre d'un grand pin.
Et Baptiste joua pour Bianca, il joua avec tout son cœur, il joua longtemps si longtemps que le soleil commençait à décliner et allait bientôt disparaitre derrière la montagne.
- Je dois renter, dit Bianca, tu ne dois pas me suivre et notre rencontre doit rester secrète.
- Ma belle dame, vous reverrais-je ?
- Peut-être, mais tu ne dois pas me chercher, c'est moi qui te trouverais, dit la Fée en s'éloignant d'un pas léger.
Baptiste, le cœur serré la regarde s'éloigner. Bientôt sa robe éclatante de blancheur n'est plus qu'un petit papillon qui virevolte au loin de rocher en rocher. N'y tenant plus, Baptiste trace à sa suite en coupant à travers les éboulis. Agile, il la dépasse vite par les hauteurs sans se faire remarquer.
Arrivé sur une sorte de plateau herbeux, il s'immobilise et se dissimule derrière un rocher pour observer. Il n'en crois pas ses yeux.
Là, devant lui, de nombreuses Fées vont et viennent , les bras chargés de magnifiques étoffes blanches brodées de fils d'or qu'elles étalent sur les grandes dalles de pierres plates. Bianca arrive enfin et rejoint ses sœurs.
Mais une des Fées a aperçu Baptiste et, en un instant, toutes les Fées disparaissent comme évaporées dans l'air. Les linges étalés sur les dalles de pierre s'envolent et forment une ronde au dessus de la baisse puis s'engouffrent comme entrainés par une force mystérieuse dans l'ouverture sombre de la grotte aux Fées. Pourtant aucun vent, aucun souffle d'air pour les aspirer ainsi soudainement !
Baptiste reste là un moment abasourdi par ce qu'il vient de voir. Pourtant il se souvient, il se souvient des histoires que racontaient les vieilles en triant les châtaignes quand il était enfant. Elles savaient, elles savaient par leur mère et leur grand mère.
Voila ce qui se racontait lors des veillées.
Les Fées existent bel et bien au Castel Ginesté et ce de toute éternité.
Elles avaient une prédilection pour le hameau du Figaret, elles y allaient souvent faire la veillée en hiver. On les recevait avec la plus franche cordialité. Elles apportaient souvent un fagot de bois, ce qui n'était pas à dédaigner. On les reconnaissaient à leurs robes blanches de drap fin et aussi parce ce qu'elles mettaient leurs pieds dans le feu sans se brûler. C'était pour mieux se chauffer et faire reconnaître leur puissance.
Quand les paysannes faisaient une tourte, elles en réservaient toujours une part pour les fées.
Quand les Fées allaient à St Jean la Rivière pour laver leur linge dans la Vésubie, les Figaretannes se faisaient un devoir de leur remonter les paniers jusqu'à l'entrée de la grotte. Pourtant les Fées n'en avaient nul besoin, car elles se mouvaient sans efforts sur le chemin et même à travers les pierriers.
Au printemps, au son d'une musique venue de nulle part, les Fées dansent une ronde au dessus de la grotte, en chantant des couplets mystérieux, incompréhensibles du commun des mortels. Il en reste la trace d'un grand cercle d'herbes roussies on l'appelle « anneau des fées ». Mais si quelqu'un s'approche pour les surprendre une grêle de pierres s'abat sur les curieux.
Souvent à la Noël, les fées allaient aider les femmes de Figaret à remplir les boudins. Tout cela était une manière de sceller leur alliance entre femmes. Les Fées étaient toujours bien reçues, elle pouvaient guérir les enfants malades et soulager les maux des vieilles femmes.
Leurs relations avec les hommes étaient tout autre. Généralement elles se tiennent à distance, mais elles sont imprévisibles. Il leur arrive de leur jouer des tours, ainsi des bottes de foin sont déplacées pendant la nuit, des objets dans la maison disparaissent mystérieusement et se retrouvent quelques jours plus tard à l'endroit même où on les avait laissés. Elles viennent parfois la nuit frapper aux portes ou aux volets. Pour dire vrai, on peut croire que tout événement mystérieux était mis sur le compte des Fées.
Baptiste se souvient aussi que son Mestre d'école leur avait dit que c'était des vieilles fariboles et qu'il fallait croire à la vierge Marie et à tous les Saints de notre sainte mère l'Eglise. Mais la vierge Marie, il ne l'avait vu qu'en statue ou en image tandis que Bianca, Bianca la Fée si belle dans sa robe blanche brodée de fils d'or il l'avait vu, il l'avait vu de ses yeux vu. Il lui avait même parlé !
Il veut en savoir plus sur sa belle dame. Mais à qui s'adresser ?
Sa grand mère est morte depuis quelques temps déjà, quand aux autres vieilles du village, il ne peut faire confiance à ces ficanas pour garder son secret.
Nuit difficile, sommeil agité, Baptiste à une idée ! Bien sur comment n'y a -t-il pas pensé plus tôt ! La Masca, La Masca, si quelqu'un sait quelque chose, pour sur c'est elle !
Baptiste s'habille en vitesse et sans attendre le lever du jour il prend son bâton, fourre un fromage et une miche de pain dans une gibecière et se met en chemin pour aller trouver la Masca.
C'est une vieille femme, une très vieille femme, même les Utellois les plus âgés l'ont toujours connue vieille. Elle vit retirée à quelques kilomètres du village dans une cabane faite de branches et de planches édifiée à l'entrée d'une cavité rocheuse. Elle vit là, du lait de ses quelques chèvres et de cueillette.
On raconte beaucoup de choses à son sujet, qu'elle peut lancer les mauvais sorts sur les gens ou les animaux. Si on l'aperçoit sur son chemin, il vaut mieux l'éviter et faire un détour. Mais elle connait les plantes et les pierres qui soignent et comment vous protéger du mauvais œil. Bien des Utellois viennent la consulter discrètement quand le mal d' un enfant ou d'un animal de veut pas guérir. Les quelques pièces ou cadeaux qu'elle gagne ainsi lui permettent d'améliorer son ordinaire.
Baptiste marche d'un bon pas. Quand le jour se lève il arrive à la cabane de la Masca qui était en train de rassembler du bois pour alimenter son foyer.
- He Baptiste que me vaux ta visite ? La Masca connaissait les noms de tous, même si elle ne les avaient jamais rencontrés.
- Vieille mère j'ai quelque chose à te demander de bien particulier. Si tu peux me répondre cette gibecière est à toi et je ne manquerai pas de te visiter de temps en temps et de porter des chandelles.
- Que veux-tu savoir mon garçon qui soit si important pour toi ?
Baptiste raconta sa récente rencontre avec Bianca.
- Comment puis-je la revoir ?
- Ce que je vais te dire mon garçon doit rester secret, je sais ce qu'il en coûte de rompre ce secret. Les Fées sont immortelles elles sont là de toute éternité bien avant que le plus lointain de tes ancêtre venant du Nord ne s'arrête et s'installe dans la vallée de la Vésubie.
- Tu l'aimes ta Bianca ?
- Plus que tout au monde, je donnerais ma vie pour elle.
- Si tu lui veux du bien, tu ne dois plus la revoir. Si vous vous unissiez elle perdrait son immortalité et tomberait immédiatement en poussière car elle a certainement plusieurs milliers d'années. Sache qu'elle ne t'est pas apparue pour ta petite personne mais seulement pour la beauté de ta musique. Les Fées aiment la beauté.
- Pourtant je veux la retrouver, comment pénétrer dans la grotte aux Fées ? Je veux aller la chercher.
- Tu ne le peux pas, il y a une porte étroite. Nul ne peux la franchir. Bianca te l'a déjà dit : seules les Fées, qui ont tout pouvoir, peuvent aller au delà où se trouve un lac sur lequel vogue une barque portant un veau d'or. C'est là quelles tissent leurs merveilleuses étoffes, elles y tiennent aussi des banquets somptueux.
- Comment sais-tu tout cela ?
- Il y a longtemps, très longtemps, j'étais moi-même une de ces Fées. Et j'ai rompu le secret pour l'amour d'un jeune bucheron qui m'avais surprise alors que je me baignais nue dans la Vésubie. Pour me punir, la reine des Fées m'a transformée en celle que tu voie maintenant devant toi. Mais j'ai gardé certains pouvoirs. Me voyant si vieille et laide mon amoureux s'est enfui et je ne l'ai jamais revu. Maintenant va-t-en je t'en ai déjà trop dit.
Baptiste salue la Masca et lui laisse sa gibecière avec le fromage et le pain et lui promet de lui porter des chandelles.
Rentré au village Baptiste est transformé, il n'a plus la tête à son travail de berger, il ne pense qu'à la merveilleuse apparition de Bianca et aux quelques mots échangés avec elle. Ces amis s'inquiètent pour lui. Lors d'une soirée, après avoir été entrainé à boire un peu trop, il se laisse aller à quelques confidences.
Un veau d'or ! Les Fées gardent un veau d'or dans la grotte ! Et certainement d'autres trésors !
Vous pensez bien que la nouvelle de l'existence d'un veau d'or a fait rapidement le tour du village et échauffé les imaginations et perdure encore dans les mémoires.
Après quelques jours passés à se morfondre il lui faut bien sortir de nouveau le troupeau dont il a la charge, les animaux ne pouvant pas être gardé dans l'enclos de pierres plus longtemps. C'est ainsi que régulièrement, au printemps, il mène ses bêtes vers le Castel Ginesté et ne manque pas de s'y arrêter pour jouer ses plus beaux airs espérant que la belle Bianca vienne l'écouter.
Mais s'il a l'impression qu'elle n'est pas loin de lui, peut être juste là derrière ce rocher, ou non peut être derrière cet arbre, ou ce buisson il ne parvint plus jamais à l'approcher. Parfois il s'arrête brusquement de jouer pour essayer de la surprendre, mais en vain. Le soir, en reprenant le chemin du village il lui semble apercevoir au loin sa silhouette fugitive remonter rapidement vers le Castel Ginesté.
Baptiste devient de plus en plus taciturne, et il reste de plus en plus longtemps seul dans la montagne à jouer du galoubet. Un soir vers la fin de l'été, le troupeau rentra seul à la bergerie conduit par les chiens. On ne revit plus jamais Baptiste au village.
Certains disent qu'il est tombé dans un précipice. Mais on n'a jamais retrouvé son corps.
D'autres disent que les Fées ont voulu le garder éternellement pour accompagner leurs danse au son de sa musique et pour cela elles l'auraient transformées en un pied de cade parfumé qui prospère depuis non loin de la grotte.
Si vous passez près du col de Castel Ginesté, tendez l'oreille, peut être entendrez vous une mélodie portée par le vent. Mais ne vous approchez pas trop, vous risqueriez de recevoir une grêle de petites pierres. Les Fées n'aiment pas être dérangées.