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La fille qui ne pouvait entendre parler de foutre

Gougaud H.

La fille qui ne pouvait entendre parler de foutre
Version de Henri Gougaud

Demoiselle Marion, bien qu'elle ait belle chair où belle chair doit être, était d'une pruderie telle qu'elle ne pouvait pas supporter d''entendre prononcer devant elle ces mots crus qui désignent l'entre jambe et leur voisinage immédiat. Bref, à la moindre foutrerie elle manquait d'air et tournait pâle. Son père l'aimait sans partage. Il était veuf, il n'avait qu'elle et donc, bien que pourvu de champs et de confortables vignobles, il n'osait employer le moindre domestique de peur (sait on jamais) qu'un de ces rustauds là ne lâche étourdiment, u jour, en sa présence, l'infernal tourne-cul qui ferait s'envoler sa Marion chez les anges.
Or, un dimanche d'août, un malicieux David, passant par le village (il venait Dieu sait d'où et cherchait aventure), appris incidemment ce que l'on vient d'entendre. Il se dit que peut être il y avait là pour lui quelques grains à glaner pour les longs jours d'hiver. Il s'en fut à la ferme. Le père de Marion sous l'arbre de la cour étrillait posément son cheval de labour.
- Dieu vous garde ! lui dit David, logeriez vous un pèlerin qui saurait retrousser ses manches et vous aider à soigner quelques jours vos vignes et vos bêtes ?
- Peut être oui , peut être non, répond l'autre. J'ai grand besoin qu'on m'assiste, l'ouvrage est lourd, je me fais vieux, à moins d'un séminariste j'interdis qu'on entre chez moi. Comprends mon garçon, ma fille est affligée d'une pudeur qui lui tourneboule le cœur à la moindre allusion paillarde. Elle déteste les foutreries.
- Qu'avez vous dit ? Gronda David, les yeux exorbités, les poings agrippés à la gorge.
Il fit mine de s'étrangler, tituba, cherchant vainement à se retenir à la brise, et dit encore dans un râle :
- Quel mot abject, là à l'instant, monsieur vient de sortir de vous ?
- Es-tu fiévreux ? Répondit l'autre. Hé, ne trépasse pas chez moi ? Qu'ais je dit ? J'ai dit que ma fille pudibonde à l'excès ne supporte pas les foutreries.
- Foutreries ? Oh l'épouvantable ! Oh l'ignoble ! Oh le satanique ! Sachez que moi aussi je hais ces mots malodorants . Ils me trouent le cœur et le foie. Ils m'épuisent. Ils me décarcassent Hélas, votre pucelle et moi sommes affligés du même mal. Priez pour notre sauvegarde.
La fille était devant la porte à trier des légumes secs. Elle lança un coup d'œil pointu, sourit pour elle seule et dit, le front baissé :
- Hébergez donc ce pèlerin, mon père, il est de belle race. Pouvons-nous le laisser dehors ? Nous avons bien assez de place.
- Puisque Dieu et la fille le veulent, dit le bonhomme ouvrant les bras, entre donc mon garçon tu es ici chez toi.
Il fut invité à dîner. Dit le bénédicité, mangea la soupe, le gigot, quelques pommes cuites au four, puis après l'alcool de cerise.
- Où donc David va-t-il coucher ? Dit le bonhomme en caressant sa panse, Il n'es que deux chambres là-haut.
Marion lui répondit :
- Mon père il peut bien dormir près de moi, je ne crains pas qu'il m'indispose, honnête comme je le vois !
- Pourquoi pas ? Risqua le garçon.
Le bonhomme bâilla.
- Bonne nuit donc ! Dit-il.
L'escalier ne grinça qu'à peine. La porte fut bientôt close. David et Marion s'allongèrent côte à côte sur l'oreiller. A peine la chandelle éteinte:
- Oh ! Qu'est ceci ? dit le jeune homme, la main sur un sein rondelet.
- C'est une e mes deux collines. Voici l'autre, David, tâtez donc.
- C'est ma foi vrai. Oh jeune fille et ce duvet, sous le nombril ?
- C'est ma prairie, mon herbe tendre.
- Seigneur Jésus quel beau pays ! Et là, au milieu cette fente ?
- C'est ma fontaine, elle est profonde. Vous pouvez y risquer un doigt.
- Jeune fille, comme elle est chaude
- C'st qu'au fon est un soleil noir. Mais vous, qu'avez vous qui pousse, Oh David, si raide et si dur ?
- Belle amie, c'est mon cheval rouge. Il piaffe, il a soif, il a faim !
- Amenez le donc dans mon pré. il faut bien que chaque être vive. Qu'il broute et boive tout son saoul. Ainsi soit il. Voyez Marion, comme il va et vient à sa guise.
- Qu'il aille et vienne encore. Oh, ma fontaine a soif de lui !
- Marion voulez vous de son lait ?
- Oh foutre oui ! répondit-elle dans un irrésistible élan.
Quatre fois, leurs corps s'entre-burent de minuit au soleil levant. Ils s'épousèrent à vive allure au premier jour du printemps.
Henri Gougaud
dans le Livre des amours. Contes de l'envie d'elle et du désir de lui. Points Le seuil.

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